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从水之道而不为私焉
29 août 2012

Bouddhas

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Texte et Photographies FP, juillet-août 2012, dans différents musées ou temples : Pékin capital museum, Lanzhou, Yinchuan, Zhongwei...

Dans son livre « Un barbare en Asie », Henri Michaux note ce travers consumériste du touriste occidental qui consiste à affirmer « J'ai vu la Chine », « J'ai vu l'Inde », « J'ai vu... J'ai vu... etc... » (sans parler du « j'ai fait la Chine » que raille avec véhémence, écoeurement et drôlerie Jacques Pimpanneau dans « Lettre à une jeune fille qui voudrait partir en Chine »...) Et lui oppose ce fait indéniable : nous sommes bien plus vus que nous sommes voyeurs du pays visité. Si, à Pékin, le promeneur occidental se déplace comme une anguille, dans une relative indifférence, ce n'est pas le cas dans les villages perdus ou certaines villes voire provinces à l'écart du traditionnel circuit Pékin, Xian, Trois gorges, Shanghai, Suzhou, Guilin, Hong-Kong. A Tieling, province du Liaoning, je me promenais le soir comme un extra-terrestre, concentrant tous les regards sur moi. Cet été 2012, Françoise, Sophie et moi, avons ressenti ce même syndrome plaisant dans le Ningxia, à Yinchuan sa capitale et plus encore à Zhongwei où nous n'avons croisé aucun de nos congénères. Des cyclistes qui manquent de chuter, leur regard écarquillé à nous fixer, des automobilistes interrompant leur conversation au portable et virant sans regarder leur route. Et cet ouvrier partant à Pékin pour y trouver du travail, mon voisin en classe assis-dur dans le train qui nous conduisait de Zhongwei à Yinchuan, qui me prenait le bras, la main, en lisait les lignes et commentant cela aux autres passagers, qui s'extasiait de ma pilosité des avant-bras en la caressant vigoureusement, hilare. J'étais le passager-bête-de-foire docile et disponible pour une leçon de choses gratuite, longue et plaisante.

Oui, nous sommes vus, vus et vus par des milliers d'yeux intrigués, méfiants, amusés, craintifs (la petite fille dans le train Yinchuan-Pékin), jaloux, envieux, timides, voire agressifs... La vieille devant sa maison dans le village de Shidu, en 2004, qui grommelait « Foutez le camp ! »... Mais la plupart du temps une envie de communiquer très forte. L'annonce « wo hui zhongwen ! » (« Je parle chinois ») cassant la glace et initiant des conversations parfois bien longues. C'est aussi le vrai sésame : celui ou celle d'entre nous, les laowai (étrangers), qui appartient à la catégorie grandissante des sinophones étant considéré comme un « ami du peuple ». La langue ouvre bien des portes, et je parle pas seulement de l'efficacité linguistique mais bien de la reconnaissance sincère des chinois envers les initiés. Quant au fait d'annoncer que l'on lit et écrit le chinois, c'est là le jackpot relationnel.

Nous, scrutés par les chinois. Qui n'hésitent pas, pour prolonger cet instant particulier, à nous photographier, poliment après demande fébrile, ou en douce avec ces maudits téléobjectifs qui sont la marque du photographe amateur médiocre et dont les chinois de la middle-class, de plus en plus aisés, s'équipent à foison, comme la marque phallique de leur richesse (un téléobjectif c'est cher, en principe) et afin se tenir à l'écart de l'échange, comme acheter des automobiles, dans une société de plus en plus individualiste.

Nous pouvons aussi, nous, les laowai, emporter ces regards sur nous. Ils font partie du voyage. Sur les portraits, les yeux qui nous ont vus...

Et parmi ces regards, il en est, universels et bienveillants, aimants à l'infini, les yeux d'un système qui ne distingue ni races ni nations : ceux des statues de Bouddha.

Guanyin, déesse de la compassion, celle qui « regarde et écoute », est l'image parfaite de ces regards de pierre qui sont l'art suprême de fusionner la sculpture avec la promesse des mantras, des sûtras, et tout un univers de paix, de mansuétude, de patience, de tendresse, une cosmologie sublime qui survit aux siècles de brutalité.

Le regard de Guanyin est un regard qui éclaire, comme l'annonce le Sûtra du cœur (xin jing), le plus célèbre des mantras qui lui sont dédiés. C'est la délicieuse ambiguïté de zhao (éclairer, exposer à la lumière, mais chez les bouddhistes, voir également) C'est le regard fusionnel parfait, sans un mot, que seuls savent dire les textes sacrés, ou le silence du sculpteur. Ce silence qui est l'échec du discours et de la théorie à dire ce qui vraiment maîtrisé par le cœur. Nous ne sommes pas loin ici des textes de Zhuangzi, le charron Pian et le discours sur les poissons, notamment. Le sculpteur, autrefois, était probablement analphabète, mais était indéniablement un parfait lecteur de la profondeur des regards de ces esprits et ces textes religieux du bouddhisme. Lecteur du regard tout court. Le regard comme un échange. Ces statues nous enseignent que regarder c'est être deux. Au moins. C'est être au monde.

Il y a le sourire Wei... Célébrité dans l'art bouddhique chinois. Référence à cette statuaire bouddhique des Wei du Nord. Ce sourire qui exprime amour et empathie et retient en lui ce qu'endure l'empathie. Le regard mi-clos. « Mi- », soit à la fois ouvert et fermé, qui voit flou et donc voit vraiment, au-delà des apparences, du désir et de l'illusion. Le regard jamais brutal qui ne dévisage pas mais envisage, en-visage, imagine, crée l'image vraie, celle du cœur.

Les « mille bouddhas ». Mille comme le dix-mille chinois (wan) : la totalité. Ou le cent (des « cent vieilles familles ») . Et même le dix plus un, shi, le maître, celui-ci qui de dix choses (pair, donc distincts) sait faire l'unité. Chaque bouddha contient tous les autres. Et rien ne prend de « s » ni autre marque du pluriel ou de genre en chinois. Les perles de l'Indra : « En même temps que chaque perle est unique, elle est le reflet de toutes les autres ». cette statue est toute les autres.

A contempler ces statues, nous ne sommes plus spectateurs mais intégrés au cœur d'une compassion universelle. Ce spectacle enchanteur devient concert.

Et l'or, qui n'a rien de clinquant, mais usé, poli, mat, frotté, qui lance de doux reflets dans la pénombre où le regard est apaisé.

 

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Pour en savoir plus sur la symbolique de l'or en Chine, lire "Coeur rivage" dans catégorie "récit", ou "Eloge de l'ombre", catégorie "Culture", tags : Jade, Japon, Obscurité, Ombre, Or.

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从水之道而不为私焉
  • Un blog de Frédéric Pauchot alias Bao Shoufei (bsf), prof de chinois. la Chine, comme toujours, le monde, vu d'un papillon, le papillon de Zhuangzi... Toutes les photos et textes sont de l'auteur, sauf mention contraire.
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